« Non mais cette année, c’est sûr, je les fais plus écrire. D’ailleurs je vais commencer la production d’écrits en sept… euh… nov… attends, avril, oui avril c’est mieux parce qu’on aura déjà vu plein de choses en étude de la langue »
Je me moque mais je m’inclus dans le lot ! La production d’écrits, c’est un domaine délicat à aborder. On peut y aller tranquillement avec de petits ateliers mais le transfert vers l’écriture spontanée reste difficile ou alors on peut laisser une liberté totale et… ça devient très difficile d’en faire un objet d’apprentissages. Sans avoir de solution miracle, je pose ici mon cheminement.
Idée 1 : Clarifier l’objectif de l’école
former des grammairiens, canoniser le Bescherelle,
apprendre aux élèves à s’exprimer à l’écrit
Écrire, c’est capital, primordial et tous les autres mots en -al qui veulent dire qu’on doit le faire beaucoup, et souvent. Savoir écrire, c’est tout simplement l’objectif de l’école, on ne fait de la grammaire, de la conjugaison, de l’orthographe que pour savoir écrire ! Les connaissances dans ces domaines n’ont pas de sens si elles restent isolées.
C’est bien d’en parler avec les élèves, cela ne va pas de soi, beaucoup pensent qu’on fait de la conjugaison pour… euh conjuguer ?
Ensuite, on n’apprend pas non plus à écrire pour « faire zéro faute à la dictée ». La forme prend parfois le dessus sur le fond mais, si on apprend à écrire, c’est pour s’exprimer, pour dire quelque chose de structuré, qui a du sens.
Enfin, – attention, coming out pédagogique – pour apprendre à lire, rien de mieux que d’écrire. La production d’écrits, notamment l’écriture essayée, est aussi un outil super puissant pour aider les enfants qui sont en difficulté pour apprendre à lire (et les autres aussi bien sûr). Contrairement à la lecture, l’enseignant dispose d’une trace du travail. Une trace bien pratique pour mieux comprendre les difficultés et les rendre visibles aux yeux des élèves. C’est aussi un bon moyen pour lancer le travail sur les procédures.
Mais comment apprendre à s’exprimer à l’écrit sans jamais écrire ? Ben on ne peut pas, à mon avis.
Idée 2 : Entrainer plutôt qu’évaluer
Avec les programmes à suivre, les injonctions diverses, on passe finalement beaucoup de temps à évaluer et pas assez à entrainer. Tout comme ce n’est pas en mettant des thermomètres de partout qu’on luttera contre le réchauffement climatique, ce n’est pas en multipliant les évaluations que les progrès arriveront !
En plus, la multiplication des évaluations dans ce domaine contribue parfois à tendre le rapport que certains élèves entretiennent avec la langue. Les normes les rendent anxieux, ils se bloquent et n’écrivent plus, pire : ils ne s’expriment plus.
Pour apprendre à écrire sereinement, les élèves semblent vraiment avoir besoin d’essayer, de chercher, de bricoler, de bidouiller, d’interroger la langue, de s’interroger, de débattre, de recommencer… d’être actifs face à leurs écrits.
Résultat :
Un format de séance entre écriture essayée et Atelier de Réflexion Orthographique
De cette réflexion, nourrie par les échanges avec les enseignants des classes dans lesquelles j’interviens, est né un format de séance. Rien de bien nouveau, pas d’innovation majeure, juste une digestion, une appropriation de formats connus.
Le résultat, c’est une séance de production d’écrits hybride entre l’écriture essayée, qui libère les plumes et l’Atelier de Réflexion Orthographique (ARO pour les intimes) qui permet d’interroger les règles, de les déconstruire avant de les reconstruire et de se les approprier. J’utilise cette séance aussi bien en classe entière (co-intervention avec l’enseignant de la classe) qu’en aide spécialisée (groupe de remédiation).
Le principe est le suivant : On découvre un livre à structure répétitive (une liste des titres que j’utilise, classés par type de structure et par niveau de classe est disponible) puis, une fois la structure mise à jour, les élèves produisent des phrases à l’oral sur le même modèle. Ces phrases sont enregistrées sur un dictaphone.
En début de séance, une phrase est choisie puis écrite par l’ensemble des élèves. C’est le fait d’écrire la même chose qui permet le fonctionnement de la suite de la séance.
Voilà ma préparation type :
Les +
→ Essayer, c’est porteur de sens. Essayer, c’est d’abord être actif, chercher comment résoudre un problème, comment atteindre un objectif. Essayer, ça veut aussi dire qu’on s’intéresse au moins autant à la démarche qu’au résultat. Pour certains élèves paralysés par les exigences de l’écrit cela permet un passage à l’écrit plus décontracté. En résumé : on a le droit de se tromper mais on vise un objectif, trouver la bonne façon d’écrire en mobilisant ce que l’on sait.
→ Une structure répétitive rassurante, motivante et performante. L’utilisation de livres à structure répétitive permet de libérer les élèves en difficulté pour produire. Comme ils ont un modèle de phrase, c’est plus facile d’avoir des idées. En plus, à force, la structure est mémorisée et cela enrichit le stock lexical des enfants. Mieux, elle devient parfois une référence dans la classe.
→ Une mise en commun riche et utile. La « comparaison » des productions est, si elle est bien menée, très riche d’un point de vue pédagogique. D’abord les élèves prennent du recul sur ce qu’ils écrivent. On ne dit pas c’est juste/c’est faux mais on parle de ses procédures, de ses stratégies. Quand le « comment » remplace le « pourquoi » dans les questions aux élèves, c’est toujours super intéressant (vive la métacognition dans la classe) voire éclairant. Un élève qui avait écrit « une familles » s’est ensuite expliqué : « J’ai hésité entre un s ou pas de s à la fin et je me suis dit que une famille c’est plusieurs personnes alors j’ai mis un s« .
Les éléments mis à jour lors de la mise en commun trouvent ensuite leur place sur les affichages de la classe (nouveaux sons, règles de grammaire, réservoir lexical, stratégies d’encodage…).
Les –
→ Le risque que certains mémorisent les orthographes essayées des camarades. Il faut vraiment faire attention à cela. Donner un statut aux écrits est primordial.
« Là, on écrit au tableau ce que vous avez écrit sur vos feuilles. Il y a des erreurs, on va les trouver, les corriger. »
Et surtout, faire un retour à la norme, une correction claire et bien formalisée. C’est la correction que l’on recopie et qui sera un écrit de référence.
→ Le risque d’épuiser la structure répétitive : elle doit être utilisée suffisamment pour être retenue par les élèves mais pas trop non plus, à vous de voir !
Supports et outils
Pour trouver les structures répétitives, j’utilise principalement les petits livres de la collection « Histoire de mots » chez PEMF (une liste des titres que j’utilise, classés par type de structure et par niveau de classe est disponible) ou les titres de chez Milan Jeunesse : « Le livre des Si…« , « Le livre des peut-être » compilés dans « Le grand livre des peut-être, des si et des pourquoi »
↓ Et pour les outils, c’est par ici ↓
Super article mais je ne vois pas la liste des œuvres proposées pour le cycle 3. Auriez-vous des propositions ?
Pour le CE1/CE2, Le Gruffalo est également un excellent support pour ce genre de travail. Je l’ai fait et ça marche du tonnerre. Pour les plus fragiles, on peut proposer un texte à trous pour les débarrasser du travail de copie.
Bonjour,
Ce format de séance a plutôt été pensé pour les CP/CE1/CE2 et l’aide spécialisée mais il existe des structures répétitives plus riches pour les classes de cycle 3 (par exemple « le livre des si… » / « le livre des peut-être »).
Je suis preneur pour les idées, merci !
Que font ils de leur phrase enregistrée à l’oral ?
Très bonne question, il faut que je le rajoute d’ailleurs, merci !
C’est l’enseignant qui garde sur un dictaphone les phrases des élèves, elles servent de support pour les séances suivantes (la séance doit être répétée plusieurs fois en gardant la structure répétitive mais en changeant de phrase). Les phrases n’ayant pas été utilisées lors des séances collectives le sont lors de la dernière séance, pendant laquelle chaque élève produit SA phrase (sans mise en commun du coup).
C’est modifié 🙂
Bonjour, comment se déroule la séance en co intervention avec l’enseignant de classe?
Y a t il constitution de groupes de besoins ou bien est ce un travail en grand groupe?
Merci
Bonjour Sandra,
Tout semble possible même si l’objectif de la séance, c’est aussi de créer une culture commune autour des procédures de chacun / des apprentissages. Du coup, on travaille généralement en classe entière en renforçant notre présence auprès des élèves qui en ont le plus besoin (c’est facile parce qu’il y a toujours un enseignant de libre). Puis pendant la mise en commun, on fait deux temps : une première validation phono pendant laquelle les élèves en difficulté avec les sons sont prioritaires et une validation « grammatico-orthographique » toujours en grand groupe, sans priorité.
Normalement tout notre petit monde s’y retrouve même si le format ne s’impose pas dès la première séance !
Le petit groupe permet de gagner en temps de parole lors de la mise en commun mais pas toujours en disponibilité de l’adulte parce que ça prend pas mal de temps et d’énergie pour mener la séance. En plus on a besoin d’un temps collectif après, pour partager les retours, et c’est assez difficile pour les élèves d’un groupe de s’intéresser à ce qu’à fait l’autre groupe.