Une étude internationale de 2016 dans laquelle les CM1 français affichaient les pires résultats de l’Union européenne en mathématiques nous avait rappelés ce que nous savions déjà un peu : notre école est en difficulté pour enseigner les mathématiques.
La plupart des élèves avec lesquels je travaille « font des maths » : « les nombres, c’est pour faire des maths », comme si ce domaine était complètement isolé du reste du monde. Ils n’ont pas compris que les mathématiques sont simplement une autre façon de décrire notre réalité.
Dans les têtes, c’est le bazar : trop d’implicites n’ont pas été levés, les techniques opératoires sont souvent survalorisées au détriment de la compréhension de notre système de numération, on parle de logique comme on parlerait de magie : « ben oui, c’est logique »… mouais…
« Mouais », d’accord, mais comment s’y prendre pour remédier à tout ça ? En cherchant un peu, je suis tombé sur une perle : un webdoc (produit par CANOPE) sur le travail d’une équipe avec Stella Baruk, qui répond de manière très simple à la question « comment aider nos élèves (dont les élèves en très grande difficulté) à progresser solidement en mathématiques ? »
Le webdoc vaut vraiment le détour parce que répondre simplement à une question si difficile, c’est quand même la classe.

Stella Baruk introduit son propos en expliquant que la « langue des nombres » n’est pas assez parlée en classe et que certains enfants ne font pas le lien entre la langue des nombres, l’écriture mathématique et la quantité représentée. Par exemple, ils n’ont pas tous compris que vingt-huit, c’est vingt et encore huit. Et puis c’est bizarre un nombre qui se dit d’une façon et qui s’écrit de deux façons différentes (vingt-huit, 28). La langue est totalement désordonnée mais pourtant apprise dans l’ordre.
Elle propose donc d’essayer de rendre cohérent le lu, le vu, le su et l’entendu.

Même si écouter Stella Baruk vaudra mille fois plus que de me lire, voici quelques notes.

→ Commencer par les 9 premiers nombres : En partant du 5 qui est plus facile car c’est un nombre « nombreux » (plus que 2 ou 3). 5 est aussi une très bonne base de travail parce qu’on peut aller de 3 à 7 rapidement en prenant 5 comme pivot.

→ Utiliser les barres doigts pour découvrir les nombres entre 30 et 69 : Commencer par exemple par 37. Si on montre 37 avec les doigts, on reconnaît 7 qu’on écrit et puis on a trois fois les deux mains pleines. On peut aussi utiliser le matériel des barres doigts : 3 cartons de 10 et 7. Puis on passe à l’écriture. « J’écris un 3 qui n’est pas trois, j’écris un 7 qui dit la vérité. »
Puis distinguer le 0 nombre et le 0 chiffre et ne travailler qu’avec le 0 chiffre. Il va attendre de s’imposer dans la numération. On travaillera ensuite, par exemple, sur 32 et 39 puis juste 30 avec le zéro qu’on n’entend pas, c’est « le chiffre du silence ».
On peut alors débuter le travail sur trente, quarante, cinquante, soixante avec le « ante » qui veut dire dix. Soixante c’est donc six dix. Ensuite on descend sur vingt qui est irrégulier pour apprendre à le reconnaître parce qu’on n’entend ni 2 ni « ante ».
Attention au dix qui n’est pas évident. On commence avec 19, on entend 10 et 9, qu’on fait avec le matériel des barres doigts. Puis 17, 18 et 10 (et le chiffre du silence).
Un modèle de barres doigts est disponible chez « Idées ASH« .

→ Parler et comprendre les nombres « cachotiers » : 11, 12, 13, 14, 15 : Le ze est un 10 et quin veut dire 5, qua veut dire 4…

→ Parler et comprendre les nombres > 60
• Pour 80, au lieu de compter de 10 en 10 on compte de 20 en 20. 80 se parle en 20 mais il s’écrit en dix.
• 79 : 7 dix et 9 : Avec les barres doigts on s’arrête à soixante, on fait une colonne de 6 cartes de 10 et encore 10 dans une autre colonne et 9 dans une dernière.
• Le 100 ne pose pas de difficulté car on entend tout, il faut tout de même comprendre que 100 c’est « un cent » mais ensuite on entend combien de 100 il y a.
• Enfin, comme le système de classe marche toujours de la même manière, si on sait écrire → 999, on sait tout écrire. On peut donc passer directement aux très grands nombres, en préférant les nombres pleins, sans 0. Ensuite, il faudra faire un travail particulier sur les places vides qui sont à repérer.

 

La suite du webdoc présente toute une série d’activités pour la classe, avec, pour chaque séance, un petit bilan avec Stella Baruk :
→ Compter les paquets de 10.
→ Écrire les dizaines.
→ Connaître la valeur des chiffres : vider les classes.
→ Composer et décomposer les nombres.

Rien de révolutionnaire mais cette approche structure vraiment l’apprentissage en s’autorisant beaucoup plus à parler des nombres( et de leurs irrégularités), à les décortiquer, à les décomposer…

De mon côté, j’enrichis ce travail avec l’utilisation des cartons Montessori qui permettent de rendre visible le « squelette » des nombres ainsi qu’avec le travail de Rémi Brissiaud.

Enfin, si vous avez aimé le propos, vous pouvez retrouver le travail de Stella Baruk dans son livre : Comptes pour petits et grands : Volume 1, Pour un apprentissage du nombre et de la numération fondé sur la langue et le sens.