Objectif en cours : Différencier, parce que… euh… parce qu’on me le demande.
Combien de fois dans ma vie d’enseignant ai-je entendu mon IEN ou un CPC dire « Il faut différencier » puis salut princier à la foule en délire et hop, rideau ? Cette injonction répétée, peu souvent approfondie, vide un peu de son sens le mot « différenciation » et crée des tensions autour du sujet. Au final, ce flou soutient certaines idées reçues :
Différencier c’est individualiser
Différencier c’est donner moins de travail
Différencier c’est donner une tâche plus simple
Nous demander de différencier c’est nous en demander plus
Différencier ça prend plus de temps
Si on s’accorde sur le fait que différencier c’est rendre accessible à chacun les objectifs de chaque séance, que différencier c’est penser les freins et anticiper les réponses qu’on pourra apporter, que différencier c’est offrir explicitement à chacun les meilleures conditions pour apprendre, et ben il se trouve qu’on sait faire ça !
Attendez, mais…
…mais si !
Même que c’est notre métier ! 😉
En plus, quand c’est bien fait, tout le monde y gagne, si si, vraiment !
Objectif mis à jour : Différencier, pour aider les élèves.
Pour autant, rien d’évident ou de facile. Bien différencier ce n’est pas instinctif, ça ne se fait pas « comme ça au feeling », ça demande d’y réfléchir un peu avant et d’interroger les idées reçues pour mieux envisager son action.
5 idées simples pour mieux différencier
Idée n°1 – Préparer mieux pour adapter moins
Faire autrement plutôt que faire plus & faire pour tous plutôt que pour chacun
Parlons d’abord temps de préparation. J’entends souvent « je n’ai pas le temps de faire pour chacun ». Si parfois c’est peut-être une excuse pour ne pas se lancer, il faut avouer que la plupart du temps, c’est absolument VRAI !
Pas de fatalité pourtant. Différencier n’est pas forcément plus couteux en temps car il ne s’agit pas de créer une tâche pour chaque élève mais plutôt une tâche qui pourra se décliner pour chacun, qui accueillera tous les élèves. On sort finalement un peu de la logique inclusive qui adapte la classe à chacun, pour aller encore plus loin, vers une logique universaliste, qui accueille tout le monde d’office.
D’autant qu’un travail complètement décroché peut parfois isoler, mettre à la marge de la culture commune de la classe et rendre plus difficile le réinvestissement.
Bien sûr nous aurons toujours besoin de certaines adaptations spécifiques mais sans doute de moins en moins.
Et concrètement ?
Le premier exemple qui me vient est celui des documents adaptés pour les élèves avec une dyslexie. S’il est essentiel de prendre en compte ces enfants qui représentent 5% environ des élèves (zéro suspense, nous savons que chaque année dans notre classe nous aurons au moins un élève en grande difficulté avec le code), il n’est pourtant pas nécessaire d’éditer deux supports différents.
Pourquoi créer deux supports alors que nous pourrions proposer des documents « dysfriendly » à tous. Cela n’enlève rien aux autres élèves et prend en compte d’office les enfants en difficulté avec le code, dont les élèves dyslexiques. Il suffit d’accepter de délaisser notre « cosmétique » personnelle pour adopter une « cosmétique » de documents pensée et plus adaptée à tous. [Autres idées + outils par ici]
Alors oui, cela va d’abord prendre un peu de temps de repenser ses documents/séances mais en se créant un format type, un modèle qu’on pourra adapter à chaque tâche, on va finalement en gagner, à la maison comme en classe. Moins de boulot pour un meilleur résultat, on prend non ?
Idée n°2 – Nettoyer la tâche en conservant de la complexité
Faire moins ? Pas forcément.
Le premier réflexe lorsqu’il s’agit de différencier est souvent d’en demander moins : faire la première question, le début de l’exercice, ne lire que le début du texte… mais ce n’est pas forcément la solution à toutes les difficultés.
Différencier, ce n’est pas toujours faire moins, c’est aller droit vers l’objectif de la séance en enlevant les « parasites » ou les obstacles et éviter le plus souvent possible les situations de double tâche. Pour cela il faut en amont être le plus au clair possible avec l’objectif de sa séance et avoir identifié les obstacles (qui dépendent autant du travail proposé que des difficultés des élèves).
Viser l’objectif avec précision
SITUATION 1 : Élèves en difficulté avec le code ou le geste graphique (dont les élèves dys) – Conjugaison
Objectif : Conjuguer
En conjugaison par exemple, cela peut-être « écrire moins pour conjuguer plus », on soulage l’écriture de la date, de la consigne, de certains morceaux des phrases et on permet à l’élève de consacrer 100% de son énergie à conjuguer. Moins de lecture et d’écriture pour notre élève c’est de la fraicheur en plus pour atteindre l’objectif de la séance : conjuguer. En lui demandant de ne faire que la première phrase, on ne lui permet que de conjuguer une fois. En « nettoyant » la tâche, l’élève aura conjugué 7 ou 8 fois.
SITUATION 2 : Élèves en difficulté avec la lecture (dont élèves dyslexiques) – Littérature
Objectif : Comprendre un texte narratif
En littérature, c’est compliqué. Si l’enfant ne lit pas, on peut le soulager de la lecture. On peut aussi adapter le texte (par exemple avec la méthode d’imprégnation syllabique), ou le raccourcir.
Mais attention à ne pas toujours donner le début du texte car les questions qui sont liées avec le début du texte portent souvent sur l’explicite et l’élève risque de passer complètement à côté du cœur du texte. On peut donc sélectionner la partie du texte la plus importante, celle qui fera l’objet d’un débat interprétatif (avec de l’implicite aussi par exemple), l’adapter et la donner à lire aux élèves en difficulté. Ils pourront, comme cela, participer avec tout le monde au débat qui suivra. Le reste du texte leur sera lu.
SITUATION 3 : Élèves en difficulté avec le geste graphique ou la copie (dont élèves avec TDC) – Copie
Objectif : Copier
En copie, clairement, différencier peut se traduire par écrire moins : n’écrire que le début, écrire seulement les mots importants dans un texte à trous, saisir à l’ordinateur…
Bref vous avez compris ! L’idée c’est de vraiment pouvoir garder de la complexité pour ne pas tomber dans le systématique, être dans la fameuse « zone proximale de développement » de notre élève et rester ambitieux pour sa progression.
Idée n°3 – Garder une place dans le travail de classe pour une mise en commun active
L’explicite au service des apprentissages de tous
Les temps de correction peuvent parfois être douloureux pour nos élèves en difficulté parce que si nous regardons de leur point de vue, le plus souvent ils n’ont pas grand chose en commun avec les élèves en réussite. Les uns « ont juste », eux « ont faux ». Il n’est d’ailleurs pas rare de voir leur attention s’évaporer rapidement.
Pourtant, si nous transformons la correction en temps actif de mise en commun, cela peut être vraiment positif pour tous. Pour cela, changeons de focale, intéressons nous moins au résultat qu’à la manière de l’obtenir, soyons les plus explicites possibles et faisons une vraie place à la métacognition.
Dans ces conditions, la mise en commun permettra à tous les élèves de :
→ clarifier les objectifs de la séance.
→ mettre en mots procédures et stratégies, construisant ainsi un langage commun propice aux progrès.
Ensuite, les éléments mis à jour permettront aux élèves en difficulté de :
→ mieux repérer/comprendre leurs erreurs et leurs réussites.
Éclairer le chemin plutôt que le résultat permet aux élèves qui ont une bonne stratégie de se savoir proches du but, même si le résultat est incorrect. Cela permet aux autres d’identifier peu à peu leurs procédures afin de construire ensuite des stratégies expertes.
→ fixer des micros objectifs atteignables (à la lumière des éléments précédents).
Partir de là où l’élève en est, décomposer en étapes sa progression permet de mieux se situer, d’éclairer les progrès plutôt que l’écart à la norme et de se sentir progresser. Cela peut avoir comme effet de consolider ou de restaurer un peu l’estime de soi, d’éviter les moments de découragement et d’être davantage à la barre de ses apprentissages.
→ préparer activement et explicitement la prochaine séance.
En demandant par exemple « Que pouvons-nous garder de la séance qui vient de se terminer », on crée des liens entre les séances et les notions. On aide à planifier la prochaine tâche/séance car le rappel des éléments déjà vus sera plus rapide et efficace. On rend explicites les chemins pour apprendre, on clarifie les objectifs, on met les élèves dans une démarche de progression, on nourrit procédures et stratégies…
Idée n°4 – Éviter les fausses bonnes idées
Vous l’avez compris, faire plus simple, faire moins, faire « pareil mais que le début », faire « ce que tu peux » sont des classiques de la différenciation dans les classes et si aucune de ces idées n’est à jeter, elles doivent pourtant être réintérrogées pour s’assurer qu’elles correspondent vraiment aux besoins de l’élève.
Attention également au tutorat qui est un outil très efficace de progression et de différenciation à condition de le penser et de l’accompagner de manière éclairée mais qui peut parfois aussi être un frein lorsqu’il n’est pas pensé.
Si la question vous intéresse, je vous renvoie vers le patron du sujet, l’excellent Sylvain Connac.
Idée n°5 – Essayer !
Les premiers essais peuvent complètement foirer et c’est normal, c’est aussi en tâtonnant qu’on s’ajuste à sa classe. Différencier c’est sans doute aussi accepter d’être parfois déséquilibré pendant un temps avant de trouver le fonctionnement qui répondra au mieux aux besoins de tous. Courage !
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